L’ANALYSE GRAPHIQUE ET TECHNIQUE
UNE HISTOIRE
DE SOMMETS ET DE CREUX
I- La psychologie des marchés : fondement de l’analyse graphique et technique
Les causes des mouvements boursiers peuvent être classées dans quelques grandes catégories :
– Les causes liées aux événements politiques
– La conjoncture économique avec l’évolution des indicateurs économiques
– Les causes liées à la confrontation de l’offre et de la demande
– Les causes liées aux opérations financières d’une société cotée
– Enfin, les causes liées aux phénomènes psychologiques qui jouent un rôle de premier plan : les anticipations des observateurs financiers, de personnalités économiques, analystes, journalistes exercent une influence extrême. L’achat d’un titre exprime le pari que la société va évoluer favorablement, que ses résultats vont s’accroître, il semble alors rationnel que les prévisions soient particulièrement prises en compte…
Si l’on devait affecter un poids exprimant l’importance de chacune des causes, une estimation de l’ordre de 80% de l’impact de la psychologie de l’ensemble des investisseurs, sur l’évolution d’un marché, serait loin d’être farfelue… et ce poids est d’autant plus important que l’horizon d’analyse est court, jusqu’à atteindre un marché 100% psychologique où les émotions et les sentiments extrêmes telles la peur et l’euphorie dominent, en particulier mais pas seulement, pendant les variations » intraday « . C’est « La raison », que la raison ignore facilement, qui entraîne les marchés dans des phases d’optimisme collectif excessif suivies de dépressions dévastatrices (l’actualité boursière fourmille d’exemples !).
La prévision, qu’elle soit météorologique ou boursière, est un exercice extrêmement compliqué tant le nombre de paramètres à prendre en compte est important. C’est pourquoi, sur les marchés financiers, un nombre croissant d’opérateurs ne s’intéressent plus qu’à une seule variable (parfois associée à une ou deux autres) qui représente la synthèse de tous ces paramètres : le prix et son évolution dans le temps. Les historiques de cours sont l’objet d’études, qui vont de l’examen de formes graphiques aux modélisations mathématiques des plus complexes, et deviennent autant de tentatives d’analyses psychanalytiques de l’inconscient collectif de la sphère économique et financière qui n’ont rien à envier aux études de personnalités, tels les tests de Rorschach, effectuées par les psychiatres.
II- De l’analyse graphique à l’analyse technique
II-1 De la théorie de Dow au principes d’Elliott
Charles Henry Dow (fin du 19ème siècle, journaliste financier américain cofondateur avec Edward Jones de l’agence de presse Dow Jones & Compagny…), a remarqué une certaine régularité dans l’apparente confusion du marché et détecté trois types de comportements, imbriqués à l’instar des poupées russes, liés à 3 horizons de temps différents (les clôtures quotidiennes sont utilisées car elles expriment la synthèse de chaque journée)
– La tendance à long terme dite primaire d’une durée de l’ordre de l’année et plus.
– La tendance à moyen terme secondaire de l’ordre de 1 à quelques mois dans la tendance primaire
– La tendance à court terme tertiaire de 1 jour à quelques semaines dans la tendance secondaire.
Dans les années 1930 Ralph Nelson Elliott associa le comportement humain à l’évolution des cours boursiers. Il était persuadé que l’évolution des cours boursiers obéissait à une loi naturelle et énonça les désormais célèbres, principes d’Elliott : en résumé l’évolution du marché actions est rythmé par des cycles.
Chaque cycle se décompose en une vague d’impulsion (I) et une vague de correction (II). Dans une deuxième décomposition, chaque d’impulsion est décomposée en 5 sous-vagues numérotées de 1 à 5 et chaque correction en 3 sous-vagues lettrées a, b, c et ainsi de suite …
L’attribution d’une « personnalité » à chacune des formes observées, la simplicité apparente des décomptes (dans lesquels il introduit la fameuse suite de Fibonacci, le nombre d’or et ses dérivés) et certaines prévisions presque incroyables ont contribué au succès des principes d’Elliott, mais l’ensemble des règles et exceptions en font une « théorie » à l’application relativement complexe.
II-2 Formes de retournement et tendances : de l’analyse des formes à l’analyse technique
Une tendance sur un horizon donné, annuel et plus par exemple, est définie à partir des sommets PH et des creux PB formés par les vagues d’horizon inférieur (quelques mois dans l’exemple). Tant que les PH et les PB sont toujours plus hauts alors la tendance est définie comme haussière. Si les plus récents PH et PB sont plus bas que les précédents la tendance devient baissière.
Il existe de nombreuses configurations, laissant apparaître parfois des formes géométriques, qui préfigurent un retournement de tendance et même une poursuite de tendance. Elles sont toujours construites à partir de sommets et de creux. L’horizon temporel d’anticipation, est du même ordre de grandeur que la durée de la figure.
Dans l’exemple de l’indice CAC 40, en 2007, le creux d’août est plus bas que le précédent creux en mars. Lors du rebond qui a suivi, l’indice a créé en octobre un sommet E plus bas que le précédent sommet T. En novembre le marché a tenté d’inverser le mouvement en cours en créant un PB plus haut que celui d’août qui n’a pas été confirmé par le PH suivant. Au cours de ce mouvement l’indice a créé une forme classique caractéristique d’une inversion de tendance, en Epaule-Tête-Epaule (E-T-E). La rupture d’une droite formée à partir des derniers PB, appelée « ligne de cou », confirme alors l’inversement de tendance. Une forme en double sommet (appelé également double top, soit la formation d’un M sur le graphique) permet également le tracé d’une ligne de cou et pourra être interprétée de la même façon. Inversement au cours d’un marché baissier, une forme en Epaule-Tête-Epaule inversée ou en double creux (appelé également double bottom, soit la formation d’un W sur le graphique) permet d’anticiper une tendance haussière.
Depuis janvier 2008 l’indice CAC 40 est résolument baissier. On peut alors construire à partir des PB toujours plus bas une droite de soutien (S) sur laquelle s’appuie le marché et à partir des PH une résistance (R) qu’on s’efforce de construire parallèlement à la droite de soutien. Le canal formé dans le cas présent a une amplitude de l’ordre de 20% et donne la tendance (la moyenne mobile est une autre méthode de détermination de tendance / Info(s) club n° 38 d’octobre 2006). Le franchissement à la hausse de (R) ne sera pas un signal de retournement haussier mais simplement une atténuation de la pente baissière. Il faudra appliquer les règles précédemment définies sur les PH et PB des sommets et des creux pour définir le prochain mouvement haussier long terme, ce qui prendra vraisemblablement une durée de l’ordre de l’année. Dans cette hypothèse le marché ne pourra pas être défini comme haussier, au mieux sur cet horizon, avant le deuxième semestre 2009 ! Que faire en attendant … ?
II-3 Exploitation des mouvements intermédiaires, moyen terme
En réalité les gestionnaires sont à la recherche de la meilleure performance, à l’affût de la moindre variation de cours : ils tentent de prévoir les « points tournants » exploitables du marché. La détection des sommets et des creux, afin d’optimiser les rendements en vendant au plus proche d’un sommet et racheter dans un creux, est donc la principale préoccupation de l’analyste utilisant ces méthodes. Quand doit-il vendre ou acheter ? Le timing est sa seule obsession !
Il va donc s’intéresser aux cycles qui correspondent à son horizon temporel de travail. Sera-t-il annuel, mensuel, hebdomadaire, quotidien, horaire …. ? Une fois la période de travail choisie, par exemple mensuelle dans le cas de l’exemple, l’analyste devra ignorer les cycles de périodes plus courtes.
La durée moyenne entre 2 creux, ou 2 sommets (soit la durée d’un cycle) est de l’ordre de 5 mois, soit environs 100 jours ouvrés. Une moyenne mobile de 100 bourses lissera correctement le cycle pour visualiser la tendance au même titre que la résistance (R) au cours d’une baisse, mais aura le rôle de (S) dans une tendance haussière. Dans l’exemple, une moyenne mobile de 50 bourses (100 / 2) permettra un lissage des variations inférieures à 50 bourses et une meilleure observation des sommets et des creux du cycle de 100 bourses.
III- La moyenne mobile
III-1 Un indicateur très instructif
L’observation des historiques de cours montre une certaine régularité qui peut nous laisser penser la possibilité de « deviner » les cours futurs à partir de leur comportement passé. De nombreuses tentatives de prévisions ont amené leurs auteurs à développer des modèles mathématiques d’autant plus complexes qu’ils sont difficiles à interpréter. Et pourtant il existe un indicateur, la moyenne mobile, dont le calcul est le plus naturellement simple mais d’une richesse telle que son interprétation doit être abordée avec humilité. La moyenne mobile consiste à calculer la moyenne arithmétique d’une séquence de N valeurs successives d’une série chronologique et ceci pour chaque date de l’historique. L’unité de temps ( …, l’heure, le jour, la semaine,… ) est choisie en fonction de critères qui sont propres à l’utilisateur. Pour bien comprendre une des facettes de cet « indicateur », il est nécessaire d’analyser un cas théorique. Prenons l’exemple d’une valeur boursière théorique dont on note le prix chaque jour et dont le couple (date, prix) évolue de la manière suivante (1,10), (2,20), (3,30), (4,40) , (5,30) , (6,20) , (7,10) , (8,20) , (9,30) , (10,40) , (11,30) , (12,20) , (13,10), (14,20), … où le couple (7,10) par exemple, indique que le septième jour le cours se retrouve à 10 €.
On remarque qu’il existe, au moins, une séquence de N jours pour laquelle la moyenne calculée chaque jour reste constante : 6 jours. La moyenne mobile à 6 jours reste égale à 25 € et évolue de façon linéaire ! Qu’en sera-t-il du cours le 15ème jour si la tendance de la moyenne mobile à 6 jours (25 €) se conserve ? Question légitime puisque cela fait plusieurs jours qu’elle évolue régulièrement. Un calcul simple montre que le cours devra être à 30 € ! En faisant l’hypothèse de la conservation de l’évolution de la moyenne mobile, on peut prévoir le prix futur d’un bien dont l’historique passé a un comportement cyclique ! Encore faut-il trouver la bonne séquence ! C’est ce que l’on appelle la dessaisonalisation dans le jargon des spécialistes.
III-2 Dans le cas d’une hausse…
Que se passe-il si la moyenne progresse régulièrement avec un prix ayant ce même comportement cyclique ? Le prix évolue au-dessus la moyenne et nous avons cette « sensation » qu’il « rebondit » sur la moyenne mobile et repart à la hausse : elle agit comme un support à la baisse.
III-3 … ou d’une baisse.
A l’inverse si la moyenne mobile baisse régulièrement, le prix évolue sous la moyenne et semble repoussé vers le bas à chaque fois qu’il s’en approche : elle agit comme une résistance à la hausse. Entre ces deux phases, le comportement cyclique du prix s’est inversé !
Cette propriété de la moyenne mobile a généré un certain nombre d’idées reçues, comme celle d’acheter aveuglément quand le prix s’approche d’une moyenne mobile haussière par exemple. Il ne faut pas oublier que ce type d’analyse repose sur 2 hypothèses empreintes de probabilité : la poursuite du comportement cyclique du prix, par conséquent celle de la régularité de la moyenne mobile. Dans ce cas on peut s’attendre légitimement que la moyenne mobile agit comme un « attracteur » lorsque le prix s’en éloigne de trop…
III-4 Cas des fortes et faibles tendances
Au cours de fortes hausses le comportement cyclique semble disparaître, en fait la phase de baisse du cycle est atténuée par la tendance haussière. Si la tendance haussière est très forte, la phase de baisse du cycle lorgne même vers le haut !
L’interprétation est analogue pour les tendances baissières mais avec des cycles inversés.
Tendance haussière | Tendance baissière |
faible | faible |
forte | forte |
très forte | très forte |
IV – Un indicateur technique dérivé de la moyenne mobile : le momentum
Or la moyenne mobile présente une certaine inertie et on lui préfère sa variation quotidienne, le momentum : moyenne mobile du jour moins celle de la veille.
Dans le tableau on reprend l’exemple d’une valeur boursière théorique avec un comportement cyclique de 6 jours.
MM6 et MM3 : respectivement moyenne mobile à 6 jours et 3 jours
Cj– Cj-3 : variation du cours entre le jour j et le jour j-3, par exemple :
Le 4ème jour on a C4– C1 = 40-10 = 30
Le 4ème jour, le momemtum (la variation de la MM3), est 30 – 20=10, MM3 du 4ème jour (MM34) moins celle du 3ème jour (MM33).
Soit
C4– C1 =3 x (MM34 – MM33)
pour 50 bourses on aura
Cj– Cj-50 =50 x (MM50j– MM50j-1)
à un facteur 3 près Cj– Cj-3 , correspond au momemtum de la moyenne mobile à 3 jours.
à un facteur 50 près Cj– Cj-50 , correspond au momemtum de la moyenne mobile à 50 jours.
L’analyse des données théoriques montre que lorsque le momemtum devient négatif (en passant de 10 à -10 entre le 5ème et 6ème jour par exemple), il coïncide avec un sommet de la MM3 (entre 33.33 et 30) alors que le cours a déjà commencé à baisser !
Pour anticiper davantage et vendre au plus près du sommet du cours et non de la MM3, Il faut s’intéresser au sommet du momemtum (6/4=1,5 jour plus tôt dans notre cas théorique) soit le 4ème jour, pour détecter celui du cours à 40€.
V- Un exemple : le CAC 40
Dans la pratique, la détection des sommets et des creux du momemtum se réalise en traçant supports et résistances sur la courbe de l’indicateur : son franchissement après une durée de l’ordre de 50 bourses (pour un cycle de 100 bourses) permet d’être aussi près que possible du sommet du cycle choisi. L’inconvénient majeur est la disparition, pendant un temps, du cycle choisi. Le choix d’autres indicateurs redondants (RSI, stochastique,…) ne lèvera pas l’inconvénient si la période de calcul est conservée.
C’est pourquoi il faut associer à tout modèle technique une méthode de money management !